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Extrait de: http://www.senegal-online.com/le-radeau-de-la-meduse/


LE NAUFRAGE DE "LA MÉDUSE"

 

L'œuvre de Géricault montre les survivants du naufrage du navire "la Méduse", entassés sur un radeau, à l'instant où un navire, visible dans le lointain, leur fait espérer le salut.
La présence de figures directement inspirées des exercices académiques, la structure classique contrastent singulièrement avec le réalisme dont l'artiste fait preuve dans l'expression de l'agonie de ses personnages. Cette originalité, d'autant plus téméraire que la toile est de très grand format, ainsi que le sujet du tableau, qui condamne ouvertement la politique du gouvernement, déclenchèrent une vague de polémiques.
La toile reçut, au Salon de 1819, un accueil très hostile car elle illustre pour la première fois un fait d’actualité sur un tableau immense.

Géricault refuse, en effet, les contraintes des normes classiques et cherche une manière de peindre plus libre. Par sa couche épaisse, son sens du mouvement et ses couleurs morbides, macabres, illustrant la mort, il a en lui la violence romantique : contrastes, effets d'ombre et de lumière. Ces audaces influenceront Delacroix qui a d'ailleurs posé pour l'un des personnages du Radeau (le mort au premier plan, face contre le radeau, bras gauche étendu).

Son inspiration

Nombreuses sont les personnes qui connaissent le magnifique et terrible tableau de Géricault connu sous le nom du "Radeau de la Méduse". Beaucoup plus rares sont celles qui sont capables de localiser et de dater l'événement. C'est le 2 juillet 1816 que "la Méduse", navire transportant le colonel Schmaltz, nouveau gouverneur du Sénégal, et sa suite, fit naufrage sur le banc d'Arguin, au large des côtes de Mauritanie.

Ce n'était qu'une catastrophe navale parmi des centaines d'autres qui eurent lieu sur ces côtes au cours des siècles.

A la chute de l’Empire, "la Méduse", frégate de trois mâts et quarante-quatre canons, était la plus moderne et la plus rapide de notre marine. Elle se trouvait, en rade de Rochefort, prête à appareiller pour transporter Napoléon et sa suite en Amérique. Ce départ n'eut pas lieu, car la frégate anglaise "l’Agamemnon" se trouvant au large, la fuite de l’Empereur devenait dangereuse.

Avec la Restauration, l’Angleterre devant restituer l’ancienne colonie du Sénégal à la France, "la Méduse" fut désignée pour y transporter le nouveau gouverneur, sa famille, ses troupes, ses finances et le matériel.
Cette expédition était commandée par Duroy de Chaumareyx, officier sans aucune expérience, ancien émigré, survivant du massacre des royalistes sur la plage de Quiberon par Hoche en 1795, qui n’avait pas navigué depuis plus de vingt ans, inapte à “ faire le point ”, méprisant ses subordonnés et n’écoutant pas les avis des marins expérimentés.

La flottille qui appareille le 17 juin, est également composée de la corvette "l’Echo", de la flûte "la Loire" et du brick "l’Argus". "La Méduse" embarque à bord plus de 400 passagers.

Très rapidement, et en dépit du bon sens, "la Méduse" et "l'Echo" n’attendent pas les deux autres navires de la division du Sénégal.

"La Méduse" n'a, à son bord, que six canots de sauvetage.

Un homme à la mer (notes du capitaine) :

"Le 23 juin, sur les 5 heures de l'après midi, on aperçut beaucoup de souffleurs et de marsouins qui venaient très près de la frégate. Au même moment, un mousse qui avait mis son linge sale à la traîne, en voulant le retirer fut emporté. De suite, un cri se fit entendre de la batterie : un homme à la mer ! On mit de suite en panne, c'est à dire qu'on masqua les voiles pour empêcher que la frégate ne marchât, mais cela demanda du temps. On mit une chaloupe à l'eau, on jeta de suite la bouée de sauvetage, le malheureux la manqua. La chaloupe fit des recherches mais ne trouva personne, elle revint après trois heures de recherches. La mer était très grosse pour une petite embarcation et les matelots qui étaient dedans eurent mille peines à rattraper le bâtiment."

Les causes du naufrage (notes du capitaine) :

"Dans la nuit du 1er au 2 juillet, la corvette l'Echo qui avait toujours fait route avec nous, fit plusieurs signaux de nuit avec des falots, pour nous prévenir que nous allions trop près de la terre. L'officier qui était de quart ne les comprit pas ou ne voulut pas les comprendre, car ces Messieurs se croient trop instruits et incapables de commettre aucune erreur, mais malheureusement ils se trompent souvent, c'est ce qui nous arriva."

Le 2 juillet, les marins jettent régulièrement la sonde pour connaître la profondeur d'eau sous le bateau : de trente-six brasses trouvées le matin, il n'en reste plus que quinze vers deux heures de l'après-midi. Le capitaine est prévenu, mais au lieu de réduire la voilure pour diminuer la vitesse du bateau, il fait au contraire ajouter les bonnettes. Quelques instants plus tard, la sonde envoyée ne mesure plus que six brasses. A seize heures, l'inévitable se produit : toutes voiles dehors, "la Méduse" s'enfonce profondément dans les sables du banc d'Arguin, échouée, pour comble de honte, par beau temps et marée haute.


Après plusieurs essais infructueux pour dégager la frégate, l'ordre d'évacuer le navire est donné le 5 juillet par les officiers qui montrent encore leur incompétence. En effet, alors que les gradés s'installent confortablement dans les chaloupes qu'ils se sont réservées, cent cinquante marins et passagers s'entassent sur un radeau construit depuis la veille. Par manque de place, dix-sept personnes sont abandonnées sur la Méduse (trois hommes seront retrouvés vivants et à moitié fous, cinquante-deux jours plus tard !).. Pire encore : alors que le plan d'évacuation prévoit le remorquage du radeau par les chaloupes, les occupants de ces dernières, après quelques moments de navigation, coupent les cordes et abandonnent les naufragés du radeau à leur triste sort.

Le deuxième canot s’appelait "le Sénégal", car il devait être laissé à la colonie. Il ne bordait que 8 avirons et était commandé par l’Enseigne Mandet avec l’Aspirant Bellot pour second. Il reçut sa pleine charge, soit 25 hommes.

"Le Sénégal" fut le premier à aborder la côte (sous la menace de son équipage) et à débarquer ses passagers, imité par d’autres canots. Denis Bellot fut parmi les cent seize personnes qui se mirent en route vers Saint-Louis en longeant la côte. Après d’éprouvantes péripéties dont la rencontre avec les Maures, ils parvinrent à Saint-Louis le 13 juillet.

Le calvaire des passagers du radeau qui va durer douze jours peut alors commencer.

La partie des mémoires du capitaine Dupont qui relate cet épisode devient plus obscure. Comme ses compagnons, il doit faire face au mauvais temps, à la faim, à la soif, au désespoir et si des scènes de cannibalisme sont sans doute commises, on comprend ses réticences à se les remémorer.

"Le 7," écrit-il, "je repris connaissance et en ouvrant les yeux j'aperçus un matelot qui me coupait le pied. Je n'avais pas la force de le retirer, cependant je lui demandai ce qu'il faisait. Il me répondit qu'il croyait couper le radeau. Je m'aperçut de suite que ce malheureux avait perdu la tête.... Je jetai aussi un regard tout autour de moi et je fus bien surpris de ne voir presque plus personne. Je pensai qu'il était mort beaucoup de monde dans cette nuit affreuse, mais je ne savais pas encore ce qui s'était passé et suis resté longtemps sans le savoir. Aujourd'hui même, je ne sais pas encore la vérité sur cette terrible nuit."

Que se passa-t-il pendant ces terribles douze jours de dérive ?

Deux nuits consécutives la tempête fit rage, emportant les hommes qui s'accrochaient les uns aux autres. Au milieu de cette horreur, des soldats s'enivrèrent et, pris de désespoir, voulurent détruire le radeau en coupant les cordes qui le tenaient assemblé. De sauvages bagarres se déclenchèrent et les mutins furent jetés à la mer.

Il restait, le troisième jour, soixante personnes qui avaient encore de l'eau jusqu'aux genoux et que la faim et la soif commencèrent à faire délirer.

Ne pouvant se satisfaire de mâcher le cuir des baudriers et des chapeaux, on en vint à manger des morceaux de cadavre. On finit par les mettre à sécher pour surmonter le dégoût.

Le quatrième jour on jeta tous les cadavres sauf un qu'on garda pour le manger.
Certains firent une conspiration pour fuir avec un sac de richesses sauvé du naufrage en construisant à partir du radeau une petite embarcation. Nouvelle bagarre, nouveaux blessés souffrant le martyre avec l'eau salée qui noyait leurs plaies.

Le septième jour, on jeta à l'eau les blessés qui n'avaient plus aucune chance de survie. Un papillon blanc vint voleter autour du mât, ce qui leur fit penser que la terre n'était pas loin. Certains voulurent quitter le radeau mais durent y renoncer. Ils souffraient d'une soif affreuse et essayaient tout pour l'apaiser.
Le dixième jour plusieurs tentèrent de se suicider. Le treizième jour enfin, un bateau parut à l'horizon mais ne vit pas les signaux des malheureux. Pris de désespoir, ils entreprirent de rédiger un message à l'abri d'une toile tendue pour les protéger de l'ardeur du soleil tropical. C'est alors qu'un marin parti vers l'avant découvrit "l'Argus" à une demie lieue. Quinze naufragés sur cent cinquante furent sauvés.

"Je me rappelle avoir vu un de mes sergents rendre le dernier soupir", écrit le capitaine Dupont. "Je ne le plaignais point, au contraire j'enviais son sort". Puis il ajoute : "notre plus grande souffrance était la soif. Beaucoup d'hommes buvaient de l'eau de mer, ils buvaient aussi de leur urine. Moi," ajoute-t-il avec un brin d'humour, "j'ai moins souffert que les autres par l'habitude que j'ai prise de ne boire qu'à l'heure des repas..."

Le 17 juillet au matin, le maître canonnier de la frégate qui venait de se lever aperçoit une voile et alerte ses compagnons : "Navire sur nous !" . "A ces mots," poursuit le capitaine Dupont, "tout le monde fut bientôt debout. Nous reconnûmes de suite que c'était le brick "l'Argus". Il avait mis son pavillon blanc au mât de misaine pour nous le faire apercevoir et nous faire comprendre qu'il venait à notre secours. Notre premier mouvement fut de nous jeter tous à genoux pour remercier l'être tout puissant qui avait daigné jeter un regard de pitié sur nous ! Ensuite, nous nous jetâmes au cou les uns des autres et, à nous embrasser de plaisir, nous versions tous des larmes bien douces, c'étaient des larmes de joie ! Le brick mit en panne et nous envoya sa chaloupe, qui nous emporta en trois voyages à son bord. De cent cinquante, nous ne restions plus que quinze."

Ce drame eut un très fort retentissement en France.

La tragédie de "La Méduse" devint le terrain des luttes qui opposèrent libéraux et royalistes, modérés et ultras. Le régime fut accusé d’avoir privilégié les cadres de l'Ancien Régime aux dépens de tout souci de sécurité. Le Ministre de la Marine démissionna. Un procès eut lieu, le capitaine Duroy de Chaumareyx fut condamné à trois ans de prison. Le restant de sa vie, vingt-cinq années durant, il fut poursuivi par les insultes et le mépris.

Deux officiers survivants, l’ingénieur-géographe Corréard et le chirurgien auxiliaire Savigny relatèrent toute l’histoire dans un livre publié fin 1817.

Le peintre Géricault les avait longuement interrogés.